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Astà (Jon Kalman Stefansson)

Reykjavik, au début des années 50. Sigvaldi, bientôt la trentaine, tombe fou amoureux d’Helga qui est belle comme le jour – on lui dit qu’elle ressemble à Elizabeth Taylor. Le couple va avoir deux filles en deux ans, Sesselja, puis Ásta. Un avenir radieux leur semble promis. Vingt ans plus tard, Ásta vit à Vienne, en Autriche. Elle fait des études de théâtre, en traînant un mal-être qui la ronge. Quand elle apprend le décès de sa grande soeur, elle se sent coupable de n’avoir pas répondu à ses lettres et surtout, elle comprend qu’elle est plus seule que jamais. A Stavanger en Norvège, encore bien des années plus tard, Sigvaldi tombe d’une échelle. Ainsi, c’est cloué au sol, incapable de se relever, qu’il se remémore sa vie… Jón Kalman Stefánsson enjambe ainsi les époques et les pays pour nous raconter l’histoire de Sigvaldi et d’Helga, puis surtout celle d’Ásta, qui tente de se construire à l’ombre d’un amour passionnel et destructeur. Car peu de temps après sa naissance, sa mère Helga est rattrapée par ses démons et l’alcool, et son père Sigvaldi se révèle incapable de faire face. Ásta est alors placée chez une nourrice, Steinvör, qui l’élève avec beaucoup d’amour. A l’adolescence pourtant, quand un garçon de sa classe tente de la séduire, Ásta devient ingérable, et Steinvör se voit contrainte de l’envoyer à la campagne pendant tout un été, dans les fjords de l’Ouest. Dans cette ferme isolée du bout du monde, Ásta change, mûrit, et pas seulement parce qu’elle a fait la connaissance de l’énigmatique Josef, un garçon de son âge qui la fascine et l’attire. Mais quand elle rentre à Reykjavik, sa vie s’effondre : son père lui apprend que Steinvör est décédée, et qu’elle doit s’installer avec lui et sa deuxième épouse… La cohabitation tourne vite au cauchemar, et Ásta part dans le nord de l’île où elle retrouve Josef. Rien n’est simple entre eux – la peur de sentiments trop puissants domine la jeune femme. Josef part à son tour et Ásta, quelque temps après, se laisse séduire par un jeune journaliste prêt à tout quitter pour elle… Ásta est un grand roman d’amour, lyrique, charnel, sur l’urgence et l’impossibilité d’aimer, sur des sentiments plus grands que nous et des vies qui tâtonnent. Les protagonistes de Stefánsson incarnent de la plus belle manière qui soit notre quête de la passion et du bonheur – deux idées de la vie qui ne sont pas toujours conciliables. Helga et Sigvaldi, puis Ásta et Josef (et bien d’autres personnages du roman encore) sont tantôt transportés tantôt anéantis, mais leurs existences – merveilleusement entremêlées dans un texte parfaitement maîtrisé – témoignent aussi de nos petites et grandes lâchetés, de ces relations qui s’enlisent sans raison particulière, et de notre incapacité à nous dépasser.
« Parce que c’est de ça que ce maudit monde a besoin en ce moment : des livres écrits pour fendre les ténèbres ! ».

Et pour les fendre, il les fend ! Il les ouvre. Violemment. Écarte les cieux, déchire les astres ; Il les éclaire, puis les piétine. Il les transperce puis s’y égare.
Nous voilà embarqués dans une saga superbe, au cœur de l’Islande d’hier et d’aujourd’hui, entrainés dans une histoire sans début et sans fin, bouleversante et terrible.
Celle d’Astà et de Jòsef, celle de Sigvaldi et d’Helga, celle de l’écrivain, de la nourrice, celle de ces hommes et de ces femmes qui nous disent tout. Vite, urgemment. Ils nous disent tout de l’amour et surtout, de l’impossibilité d’aimer.

Jòn Kalman Stefànsson enjambe les époques et les pays, il se moque de notre confort, refuse de nous mettre à l’aise entre ses mots, se joue de notre tranquillité et de notre goût pour la continuité. Ce goût qui nous rassure en nous donnant l’illusion que la vie a un sens.
Ici, la vie n’a aucun sens. Ou en a trop. C’est selon. La vie d’Astà, dont le prénom signifie amour en islandais, à une lettre près, n’a pas tenu sa promesse de bonheur.

C’est ce que pense son père, Sigvaldi, qui, après être tombé d’une échelle, se remémore toute son existence. Des bribes, des souvenirs enchevêtrés qui en appellent d’autres. Qui s’entrecroisent et s’emmêlent, se lient avec des lettres envoyées par Astà à son amour d’antan, celui dont l’absence la tue à petit feu. Avec les considérations de l’écrivain, sans cesse interrompu. Avec des chapitres posés et perdus. Enfin pas vraiment, on s’en doute.

Ce roman est inracontable et pourtant. Lisez-le ! Il vaut la peine ! Lisez cette fresque islandaise douloureuse et mouvementée, cette épopée familiale terrassée par l’amour et le désespoir. Lisez-le avec patience aussi, car vous ne comprendrez pas tout tout de suite. Il vous faudra du temps pour apprivoiser cette écriture sublime et heurtée, il vous faudra accepter de ne pas savoir. De vous laisser porter. Astà viendra jusqu’à vous, à son rythme, et vous laissera un petit quelque chose dans le cœur qui vous interrogera : serais-je encore capable de lire quelque chose d’autre après ce roman ?

Vous avez sous les yeux quelques 490 pages de pure poésie. De celle qui ne rime pas mais vous touche pour des raisons aussi sombres que les ténèbres islandaises, une fois l’été passé. Une poésie de la vie de tous les jours qui vous prend à la gorge et vous empêche de déglutir, qui vous encrasse les poumons de sa superbe réalité, qui vous donne l’impression d’avoir grandi un peu. Beaucoup. Passionnément.
On pourrait en lire mille, deux-mille des pages comme celles-là, épurées, touchant au sublime. Pas une ombre au tableau. L’envoutante logique narrative magnifie le tout, rendant l’histoire aussi impalpable que juste et sensible. Si humaine. On s’y croirait. On se met à vivre avec les personnages, vibrer avec eux, pleurer un peu aussi. On garde avec délectation sous la langue leur petit goût d’éternité. On les comprend et on leur pardonne tout. Les fautes et les non-dits, les crimes et les adieux.

Louise

Pour voir ce roman dans le catalogue en ligne : Astà

Animation bibliothèque 31.05.17